Réponse aux débat

Interview de prisonniers pour le Parti Communiste Politico-Militaire, détenus en Italie

Les questions de Clarté Rouge :
1.  La proposition du PCP-M se veut héritage/continuité-rupture/dépassement de l'expérience des Brigades Rouges, pouvez-vous expliquer cela?
2. Quel est, selon vous, l'apport du maoïsme à ce processus de continuité/dépassement?
3. Dans la réflexion sur ce que doit être la GPP dans les pays impérialistes, quels sont les éléments  de la GPP "historique" telle que pratiquée par Mao Zedong dans les années ‘30-‘40, qui doivent  être appliqués, quel sont ceux qui doivent être transposés,  quels sont ceux qui doivent être abandonnés parce que propre à la situation de la Chine des années ‘30-‘40?

La première chose à éclaircir c’est la dimension précise de parcours : le PCP-M n’a jamais existé. C’est pourquoi nous avons toujours insisté à ne pas faire illusion à ce propos : notre signature, aussi en tant qu’organisation opérationnelle, a toujours été « pour le PCP-M »  et non pas « du PCP-M ».
Un parcours organisationnel politico-militaire a existé qui, naturellement, était projeté vers cet objectif et à travers le développement d’un projet de caractère stratégique. Il est vrai que la relative crédibilité dont a bénéficié ce parcours (ainsi que la lutte politique consécutive depuis la prison) trouve ses racines "lointaines" dans le mouvement révolutionnaire italien. Mais il faut tout de suite dire  que notre dimension et consistance ont été minimales ; surtout en comparaison avec celles, historiques, du cycle des années ’70-’80.
Le tournant décisif fut les défaites politico-militaires conjuguées à celles plus générales de la classe, entre 1980 et 1982. Les BR-PCC (encore unies) assumèrent  consciencieusement le nouveau cadre des rapports de force, et décrétaient la "retraite stratégique" : reculer en combattant, pour maintenir ligne politique et stratégie mais sur des positions de combat soutenables.
Jusqu’en 1982, les effectifs se comptaient par centaines, l’Organisation Communiste Combattante (OCC) Prima linea en arrivant à passer le millier. Tandis qu’entre 1983-88 on en compte 40/50 pour les BR-PCC, et  tout autant pour la Seconda Posizione (la deuxième position issue de la dernière bataille interne aux BR en  1984).
Et encore, après leur démantèlement, entre ‘87/’88, il n’y aura plus que des noyaux exigus à poursuivre un travail souterrain, dont la Cellule pour la Constitution du PCC, épigone de la Seconda Posizione et embryon de notre futur-actuel parcours. Et avec les grandes difficultés découlant de ces défaites et de la vague "néo-libérale"  et réactionnaire mondiale des années ’90.

C’est justement à la fin de cette décennie qu’apparaissent  des premiers signes d’une reprise des mouvements de classe. En ’99 nait le mouvement "no-global", dans les affrontements de Seattle.
En Italie, s’y superposent d’autres émergences : un authentique mouvement contre la guerre impérialiste (l’armée participant en première ligne à l’agression contre la Yougoslavie) et différents épisodes de lutte de classes, tendances renaissantes à l’auto-organisation.
Dans un tel contexte, les militants BR-PCC œuvrèrent un saut sûrement courageux en relançant l’initiative politico-militaire (P-M), par l’attaque contre un dirigeant gouvernemental agissant au premier plan dans la planification des politiques anti-ouvrières. En rouvrant ainsi un espace politique précis, par la réaffirmation d’une présence révolutionnaire significative. Mais paradoxalement, un espace difficile à occuper. Tout simplement parce qu’il n’existait pas des forces de classe à la hauteur, il n’existait donc pas des concrètes possibilités de relancer une telle dynamique interne à la classe. En fait, c’était un saut opéré par lignes internes organisationnelles, en s’appuyant sur une entité exiguë  et sur une proposition politique très autoréférentielle. En confirmant la conception subjectiviste, presque élitiste, qui fut une des raisons de rupture de la part de la Seconda Posizione.
L’expérience réussi à tenir environ 5 ans, culminant dans une deuxième attaque, de la même envergure, contre le gouvernement en 2002 ; tandis qu’en 2003 une vingtaine de militants furent capturés, l’un des dirigeants mourant au combat, stoppant à nouveau le parcours de reconstruction.

A la même période aussi le noyau résiduel de la Seconda Posizione avait enfin rencontré une aire militante en voie de maturation, au sein de quelques situations prolétariennes de base. Et sur la vague du renouveau des mouvements qui s’annonçait, et encore plus des signes d’effondrement dans la crise générale historique du capitalisme, on donnait une nouvelle impulsion au parcours de réorganisation.
Nous voilà donc au passage d’une nouvelle synthèse- définition. Qui en fait allait un peu au-delà de l’élaboration successive de la Seconda Posizione. Justement -pour répondre précisément à votre première question- on pouvait parler seulement de réélaboration successives, et encore avec toutes les limites d’une expérience qui n’a pas réalisé de vérifications pratiques adéquates.  C’est-à-dire qu’on ne peut pas parler d’héritage/continuité- rupture/dépassement par rapport à   l’histoire BR, un parcours P-M  consistant, à la hauteur des objectifs poursuivis ne s’étant pas concrétisée (et nous n’avons pas prétendus l’avoir réalisé)
Dans cette réélaboration, on voulait développer les éléments qui avaient fait la richesse du cycle italien, tout en le dégageant du poids des erreurs et autres limites. A savoir, on voulait approfondir la capacité  à traduire dans la situation géopolitique spécifique les définitions théoriques universelles, et autres apports fondamentaux provenant  de l’histoire et de l’actualité des mouvements révolutionnaires dans le monde.
Et nous voilà justement à la question de comment le maoïsme est assumé, assimilé dans l’histoire du mouvement révolutionnaire italien. La théorie de la Guerre Populaire Prolongée (GPP) était parmi les fondements de la lutte armée en Italie. En se superposant à d’autres apports et références, surtout les guérillas latino-américaines.
Mais déjà au début, au début des années ’70, on se posa la question de comment concrétiser cette théorie et les autres apports, en les adaptent aux caractères bien différents de la métropole impérialiste (par rapport au Tricontinent semi-colonial, dépendant, parfois semi-féodal). L’apport des sud-américains (Marighela, Guevara, Tupamaros) contribuait à  la recherche de ces solutions. Même au risque d’un peu d’éclectisme et des aléas de l’expérimentation  
Et pourtant ce ne furent p1as ces risques qui se révélèrent les plus nuisibles, mais bien plutôt leurs contraires. A savoir les tentations mécanicistes-idéologistes, d’application linéaire du modèle universel : de la GPP dans ce cas, même corrigée dans la formulation « guerre de classe longue durée » ou «  stratégie de la lutte armée ». Effectivement le développement décisif de la lutte armée (des B.R. notamment), à partir de 1977-78, se fit en suivant un modèle d’accumulation des forces de type militariste. Fondé sur le passage présumé, en acte, de la lutte de classe à la guerre de classe ; et sur un lien, tout aussi présumé, direct et consolidé entre les niveaux de l’autonomie de classe et les O.C.C.
Tandis que, même si cette autonomie atteignait des niveaux très avancés à l’époque, elle  était malgré tout insuffisante pour soutenir un tel passage. Il suffit de comparer  avec qui a préparé et réussi , avec succès, ce passage : par exemple dans les  textes  du PCP-SL publiés par vous, ou avec le processus révolutionnaire en Inde . Ce passage P-M en Italie se donna un semblant, une imitation velléitaire, mais les conditions suffisantes (de contexte général et de phase) n’étant  pas réunies, il finit dans une spirale incontournable et contreproductive.

Un point central dans la réflexion de la Seconda Posizione tournait autour des raisons pour lesquelles on ne pouvait pas appliquer ici la GPP et son dérivé « la Guerre de classe de longue durée ». A savoir qu’ici on ne peut pas compter sur :
 -des conditions sociales extrêmes, chargées d’une répression systématique par un état à base sociale restreinte ; ce qui, avec des conditions économiques arriérées et dépendantes de l’impérialisme, alimente des déclenchements fréquents de crise et de situations/phases révolutionnaires (par exemple : le PCP-SL parle d’une cadence d’une par décennie).
-le contenu de l’étape de "Révolution de nouvelle démocratie" qui, en se basant sur la grande majorité populaire, offre à la révolution une grande base d’appui.
-ce qui se traduit en la possibilité de libérer des zones, des régions du pays et d’y installer la construction de l’Armée Rouge et des noyaux du nouveau pouvoir populaire.
-des conditions internationales, d’aire géopolitique et de phases favorables.
Tout ça n’étant pas disponible ici, il fallait se réorienter sur une conception fondée plus précisément sur les conditions et possibilités données dans les métropoles impérialistes où la maturation des phases/situations révolutionnaires est à l’évidence exceptionnelle dans le temps. Surtout en relation aux grandes crises et guerres impérialistes.
Il fallait récupérer une conception beaucoup plus P-M du processus (contrairement à celle militaire, qui s’était imposée jusque là), et notamment les caractères léninistes correspondants davantage à la composition prolétarienne urbaine et au contenu immédiatement socialiste de l’étape.
Il fallait récupérer donc une dynamique plus insurrectionnelle, tout en la posant comme étape au sein du plus ample processus de GPP.
Cette dynamique n’a rien à voir sa dégradation opportuniste/révisionniste (l’attente du "jour x") ; mais qui se concrétise, dès ses débuts, dans l’établissement politique révolutionnaire avec les armes, dans l’unité du P-M. Cette dynamique finalisée pour converger avec celle des mouvements de masse, de l’auto-organisation jusqu’à sa forme élevée en soviets — convergence qui se réalisera, justement, dans les phases insurrectionnelles. Il est probable que, comme dans le cas russe de 1917-‘21, ce  sera seulement à partir de ce moment-là que ce développera la guerre ouverte, la conquête du territoire et l’installation du pouvoir soviétique localement. Ce qui nous faisait dire (dans le document de 2008, mis sur notre site) qu’en Russie ce fut un G.P.P pas encore théorisée et déroulée à l’inverse.
Mais pouvons aussi relever les réflexions élaborées par les PCM d’Inde et du Népal (pour ce dernier jusqu’à 2006) et, encore plus tôt, toujours par le parti péruvien. Réflexions dans le sens d’une conjugaison plus articulée entre les deux modèles historiques ; justement en considération des grandes transformations mondiales survenues depuis. Ces trois Partis on dit clairement qu’on ne peut plus proposer un des deux modèle de façon absolue, mais qu’il s’agit plutôt d’avancer, de « développer la révolution » en en trouvant la combinaison la plus adéquate.
Ainsi, la question fondamentale affirmée par la Seconda Posizione  fut que dans les métropoles impérialistes, le processus qui mène à la situation révolutionnaire est long et laborieux ; bien que, dès le départ, ce processus doit être construit, établi dans l’ensemble de ses éléments nécessaires  (idéologiques, politiques, militaires) en mettant au centre la nécessité/possibilité de développer une politique révolutionnaire par l’utilisation politique des armes. A savoir une utilisation ciblée et mesurée, qui synthétise et concrétise le point de vue du parti prolétarien à l’intérieur de l’affrontement de classe général, sur le plan plus politique. Ici, donc, il y a une distinction importante : pour autant que cette politique révolutionnaire porte en soi la tendance à la guerre de classe, elle reconnait que nous ne sommes pas encore en guerre et que donc on n’agit pas une logique proprement militaire de guerre (ce qui fut la grande erreur de confusion du cycle précédant). Dans cet équilibre délicat, en devenir, l’unité du P-M trouve toute sa signification. Une unité qui fonde la constante réélaboration/redéfinition,  de ligne et de stratégie, sur une praxis essentielle pour exister et vérifier.

Au début de la nouvelle phase, démarrée en 1999, nous aussi –les épigones de la trouve toute sa signification – avons rencontré des nouveaux interlocuteurs, plus motivés et déterminés, dans le contexte de reprise des mouvements. Avec eux, nous avons essayé d’atteindre une synthèse et un possible saut à un projet opérationnel. Dans cette synthèse, nous laissons la place à une affirmation plus prononcée des principes MLM. Ces camarades y étaient très attachés, presque comme contrepoids a leur propre parcours de formation dans de l’aire de l’Autonomie. Cela signifiait pour nous une certaine concession à l’idéologisme, à une rigidité idéologique, selon nous un peu artificieuse et qui cache un besoin de certitudes universelles escamotant ses propres difficultés et incapacités. On peut ainsi relever quelques différences relatives dans nos élaborations successives, avec un rappel plus marqué au MLM et à la GPP. C’était en tout cas, une médiation acceptable qui n’entachait pas la conception générale. Ce fut plutôt dans la pratique que se révélèrent nombre d’insuffisances et d’incapacités, par rapport aux objectifs élevés qu’on s’était donnés. Surtout l’assimilation insuffisante des acquis organisationnels P-M du cycle précédant, avec les graves erreurs qui s’ensuivirent. Dans les développements en prison et au procès dans la dialectique avec l’extérieur également, ces différences réapparurent. L’arrêt brutal du parcours organisationnel (même si nous avons réussi à transformer, depuis la prison, la défaite en une lutte politique assez visible), a fini par nous faire imploser dans une dynamique typique de retournement sur les contradictions internes, dès le moment où  la dynamique expansive s’est épuisée.
Selon nous, les autres camarades – ce qui reste aujourd’hui du Collectif Communiste des Prisonniers Aurora – sont retournés en arrière, à certains de leurs défauts d’origine : le dogmatisme idéologique, conjugué à un dirigisme présomptueux typique, et d’autres défauts de méthode délétères.

C’est justement cette dernière et amère leçon qui nous amène  a réaffirmer – pour répondre à vos questions – qu’on ne peut absolument pas rester sur le plan des principes universels :  s’ils ne se mesurent et vérifient pas au nouveau contexte et à l’époque, ils finissent par devenir des icones inoffensives ou pire encore, des paravents pour opportunisme et néo-révisionnisme, — comme c’est la cas pour la grande patrie des soi-disant groupes ML, ou MLM en Italie.
La grande difficulté, dans les métropoles impérialistes, c’est que les parcours significatifs accomplis dans le cycle ’70/’80 étaient tout de même très défectueux et qu’ils nous laissent que quelques éléments utiles. Parmi ces éléments : l’unité du P-M, l’utilisation politique des armes, le processus révolutionnaire comme dialectique entre l’autonomie de classe et la construction du parti, etc. Mais il faut être conscient que sur cette base-là, il faut beaucoup travailler et expérimenter.
Il n’y a pas de construction du parti en dehors de telles dialectiques et d’une praxis P-M qui puisse concrétiser la tendance révolutionnaire ; il n’y a pas de développement de l’autonomie de classe sans le pôle organisé P-M ; et ce dernier ne peut exister sans un travail d’enracinement au sein de la classe en tissant les fils de l’auto-organisation, base essentielle de classe d’où opérer des sauts plus audacieux.
C’est Justement cette dernière leçon qui est le grand acquis du cycle ‘70/’80, qui a fleurit sur cette base et dialectique interne à la classe. En fait, aujourd’hui, dans une situation européenne d’extrême pauvreté de la subjectivité de classe mais face aux grandes potentialités offertes par cette crise historique, il faut s’occuper sérieusement et avec constance de ce travail à la base. Tout autant que de s’occuper du plan stratégique, mais en évitant une erreur typique et récurrente  des milieux militants, qui est de les mélanger en finissant par mal réaliser l’un et l’autre. Et dangereusement… Et nous disons cela aussi de manière autocritique.
Ainsi on en a un peu douté de ce risque par rapport à votre revue, à un travail ainsi conçu.
Voilà, nous concluons donc en vous renvoyant un doute et une question.

Prison de Siano, 16 novembre 2012